samedi 20 décembre 2008

Transformation

Je n'ai pas fini de me questionner sur ma relation avec Marc Bernard.
Alors que je montrais à ma compagne, de retour de chez Annie, des photos de la vie d'Else avant sa rencontre avec son bien-aimé, elle me dit : "c'est tout de même très intime...". Et que dire des photos de Marc nu dans la garrigue nîmoise...
Jamais je n'aurais pu imaginer que cette aventure, démarrée - comme cela arrive parfois j'imagine - sans la moindre ambition, puisse me conduire à ce point de découverte et de transformation.
Grâce à Marc Bernard, disparu il y a 25 ans, combien de choses et d'êtres plus vivants que bien des vivants ai-je rencontré ? Une bande incroyable d'écrivains amis (Dietrich, Calet, Dabit, Julien Blanc...) qui eux-mêmes m'ont ouvert à d'autres auteurs, tout aussi puissants et secrets (Hardellet, Chauviré, Hyvernaud...). Et puis il y a aussi les vivants (Clancier, Grenier...), dont je ne dirai jamais assez combien ils me touchent ; comment ils m'ont appris ce que pouvait être une amitié profonde, malgré la séparation de la mort.
Lors d'un entretien, Claire Paulhan m'avait confié "sa tendresse pour les écrivains disparus". Cette phrase, que j'avais pu juger un peu sombre alors, est tout à fait lumineuse depuis ma rencontre avec Marc Bernard.
On pourra toujours convoquer son attachement à l'érudition, à la "recherche scientifique" ou à l'histoire, voire sa passion de la littérature et son dégoût de l'oubli, mais on ne passe pas une partie de sa vie si près d'un "absent" pour ces seules raisons. Et surtout pas sans en ressentir la troublante présence. Une transformation.

jeudi 11 décembre 2008

A point...

Me voilà de retour de chez Annie... Le TGV, le train de banlieue, le taxi, un peu de marche à pied. Seine et Marne, Allée des bois, au milieu d'une nature hivernale à peine dérangée par le passage de quelques renards voire de sangliers. Annie m'attend : le portail est grand ouvert, les Bergers rentrés, la cote de bœuf décongelée...
Son sourire se renforce lorsqu'elle me conduit vers la table du salon. Là, gisent des papiers de son père, Marc. Papiers moins nombreux après chaque voyage, mais toujours plus précieux.
Autant elle a montré une - légitime - réticence à m'accueillir pour la première fois, autant elle paraît désolée aujourd'hui lorsque nous nous quittons. Non seulement car nous discutons généreusement de presque tout, mais aussi parce qu'elle semble déçue de ne pas me voir repartir avec suffisamment de nouveaux documents, trouvés dans une malle ou au fond d'un tiroir fermé depuis des années...
Je souhaite à tous les "biographes" de trouver une "fille de" ou un "ayant-droit de" aussi généreux. Si bien que ce n'est pas sans culpabilité que je repasse la grille du portail... Une position d'autant plus délicate qu'elle comporte nombre de documents intimes. Parmi eux, des photographies d'Else, la bien-aimée, avec son fils (issu de son premier mariage en Autriche), en costume de tyrolienne... Quelle femme magnifique !
Et puis, deux dizaines de pages qu'Annie a rédigé au lendemain de sa mort, et qui s'ouvre ainsi : "Else est morte hier soir". Nous sommes le 30 décembre 1969. Il y a bientôt quarante ans... J'ignorais l'existence d'un tel manuscrit, que son père a relu et encouragé.
Deux carnets, dont un des années 40, où figurent le contact des amis de Marc : Arland, Gide, Paulhan, Calet... L'envie de les appeler. Mais à Invalides 18-03, André ne répond pas, pas plus que Jean à Port-Royal 28-15...
"Presque rien", me dit-elle, en m'assurant bien haut vouloir "tout brûler". Ce n'est là que le signe de sa finesse face à ma gêne de la dépouiller de tant de secrets.
La cote de bœuf, que nous souhaitions manger saignante, était à point. Comme toujours avec Annie.